Le parcours du combattant de l'employeur de travailleurs étrangers

Le parcours du combattant de l’employeur de travailleurs étrangers

 
Par J.Charles RAMELLI, directeur général du PELICAN– décembre 2022

À la suite de l’entrée en vigueur le 06 avril 2021 du décret n° 2021-360 du 31 mars 2021 relatif à l’emploi d’un salarié étranger, la demande d’autorisation de travail qui se faisait auparavant via le formulaire-papier cerfa n°15186*03 adressée à la DREETS (anciennement appelée DIRECCTE) ne peut désormais plus se faire qu’en ligne, sur une plateforme dédiée du ministère de l’Intérieur.

Supposée faciliter la demande d’autorisation de travail, et accélérer le processus de la demande, il s’avère que la plateforme n’a fait que compliquer les choses et engendre un contentieux qui ne semblait pas prévu par ses concepteurs.

A noter que cette plateforme ne délivre les autorisations de travail que pour les étrangers déjà régulièrement présents sur le territoire français (hypothèse d’un changement de statut), pour les étudiants ayant besoin de dépasser le quota d’heures attaché à leur titre, et enfin pour les ressortissants étrangers à l’étranger qui veulent venir travailler en France en demandant un visa portant la mention salarié ou saisonnier.

De fait, cette plateforme ne traite pas les étrangers en situation irrégulière.

L’autorisation de travail étant un document nécessaire à l’enregistrement de la demande de changements de statut, à la demande de visa ou à la conclusion d’un contrat à temps plein pour un étudiant, cette demande doit donc obligatoirement et impérativement être déposée (par l’employeur), et nécessite une réponse avant l’expiration du titre de séjour en cours et le dépôt du changement de statut à la Préfecture ou le dépôt du passeport au Consulat.

Des délais d’instruction non identifiables et anormalement longs :

Suite au dépôt de la demande d’autorisation de travail sur la plateforme, une attestation de dépôt est automatiquement générée et est envoyée par courriel à l’employeur. Contrairement aux délais d’instruction de demande de titre de séjour qui sont de 4 mois selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du Droit d’asile (CESEDA), la loi ne prévoit ici aucun délai de réponse à l’employeur pour la plateforme.

En l’absence de délai d’instruction indiqué, le délai de droit commun de deux mois à compter de l’enregistrement du dossier par l’administration semble être de mise, néanmoins les employeurs constatent que d’une part ce délai peut être dépassé par la plateforme, sans raisons, et d’autre part que la plateforme ne donnant pas d’attestation d’enregistrement (un équivalent du  » récépissé  » pour une demande de titre de séjour) et sollicitant presque inévitablement et régulièrement des pièces complémentaires, le délai de droit commun de deux mois doit repart de zéro après l’envoi des pièces complémentaire, rallongeant ainsi indéfiniment la procédure.

Une plateforme inaccessible après dépôt interdisant un libre complément de dossier

L’accès à la plateforme après le dépôt du dossier est totalement restreint : une fois le dossier déposé, seuls les services du ministère de l’Intérieur peuvent en autoriser l’accès à l’occasion d’une demande de complément de dossier. D’autre part, il n’est pas possible d’ajouter des pièces complémentaires dans la demande : seules les pièces demandées sont enregistrées.

Il est donc impératif d’avoir immédiatement toutes les pièces nécessaires au dépôt de la demande, à défaut de quoi, la demande ne sera plus accessible par la suite pour déposer le reste du dossier.

Par ailleurs, lorsqu’une demande de complément de dossier est adressée à l’employeur, ce dernier a seulement 14 jours pour envoyer le complément demandé, à défaut de quoi la demande est automatiquement clôturée, sans préavis et sans contact possible !

Complément de dossier cyclique et bugs informatiques

La plateforme souffre de différents défauts de conception entachant la bonne instruction du dossier.

Par exemple : un bug récurrent concerne la convention collective visée : Si la convention collective correspondant au contrat de travail visé ne fait pas partie de la base de donnée (incomplète) de la plateforme, l’agent instructeur (ou l’informatique ?) ne fera que renvoyer indéfiniment un courriel de demande de complément de dossier pour demander à ce que soit bien indiquée la convention collective correspondante, et à force de répondre toujours la même chose (indisponibilité de la convention collective sur la plateforme, ou absence de convention collective), le dossier finira par être clôturé automatiquement au bout de 14 jours !

Autre bug récurrent concernant les métiers où il n’y a pas besoin de produire un diplôme, comme par exemple le métier de  » chauffeur-routier  » : Si aucun document n’est mis dans la case  » diplôme  » du formulaire, alors le formulaire ne veut pas s’enregistrer sur la page suivante et il est impossible de déposer la demande d’autorisation de travail. Or si l’on met le permis de conduire pour poids-lourds dans la case  » diplôme « , le formulaire de demande s’enregistre bien, malheureusement quelques jours après le dépôt, l’agent-instructeur envoie automatiquement un courriel notifiant l’incomplétude du dossier, car il manque le diplôme du salarié dans la case  » diplôme  » du formulaire. Ici encore, à force de répondre toujours la même chose (pas de diplôme préalable requis mais seulement un permis poids-lourds), le dossier finira par être clôturé.

Force est donc de constater que les mails de relance sur l’incomplétude du dossier sont des mails automatiques qui ne prennent pas en compte la spécificité de la demande, si cette dernière ne rentre pas « dans les clous » du formulaire en ligne. Tout particularisme est sanctionné par une clôture du dossier sans avertissement ; et ensuite, il faut tout recommencer !

Besoin d’un titre de séjour pour demander l’autorisation de travail

et besoin d’une autorisation de travail pour demander un titre de séjour…

Les délais anormalement longs pour obtenir l’autorisation de travail ont souvent pour effet de s’approcher inexorablement de la date d’expiration du titre de séjour en cours. Or bien qu’une demande de changement de statut doive se faire dans les 2 à 4 mois précédant l’expiration du titre de séjour en cours, il n’est absolument pas possible pour l’étranger de faire enregistrer sa demande de changement de statut sans joindre à son dossier l’autorisation de travail correspondante, à défaut de quoi sa demande sera jugée comme étant incomplète et donc irrecevable.

De même, s’il est possible de déposer une demande de renouvellement ou de changement de statut dans un délai maximum de 6 mois suivant l’expiration du précédent titre (sous réserve de s’acquitter d’une taxe de retard), il est quasiment impossible de déposer ou redéposer la demande d’autorisation de travail sans avoir un titre de séjour en cours de validité, car la demande sera alors considérée comme incomplète et fera l’objet d’une clôture. Je constate que d’une Préfecture à l’autre, les modalités d’instruction varient…

Obligation de publier une offre d’emploi

Si le projet de recrutement est soumis à l’opposabilité de la situation de l’emploi (ce qui est généralement le cas), avant de procéder au dépôt d’une demande d’autorisation de travail, il faut publier l’offre d’emploi pendant une période de trois semaines auprès du service public de l’emploi, et justifier le recours à un étranger ! Au terme de cette période, il est également très compliqué de fournir à la plateforme un justificatif de clôture de l’offre, puisque Pole Emploi n’en délivre plus. Une copie d’écran pourrait théoriquement suffire, mais c’est aléatoire, et laissé à l’appréciation… de qui d’ailleurs ?

… et en plus, il faut payer !

Lorsque l’embauche intervient pour une durée supérieure ou égale à 12 mois, l’employeur doit verser une taxe égale à 55 % du salaire versé au travailleur étranger (hors UE), dans la limite de 2,5 fois le salaire minimum de croissance. C’est un maximum. Ce montant varie selon les cas.

A compter du 1er janvier 2023, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) sera en charge de la gestion et du recouvrement de la taxe due par les employeurs de main d’œuvre étrangère, actuellement gérée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et prévue à l’article L. 436-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les modalités déclaratives et de paiement de la taxe évoluent. Elle est désormais déclarée et payée annuellement à terme échu. Par exemple, les employeurs n’ont pas d’obligation déclarative en 2023 au titre des embauches effectuées en 2023 ; les premières démarches à réaliser au titre de la taxe due pour 2023 interviendront en février 2024. Les modalités déclaratives et de paiement de cette taxe dépendent du régime d’imposition à la TVA ( !).

Conclusion : on tourne en rond. Procédure dissuasive pour l’employeur et discriminante pour le salarié

Le délai d’instruction de la demande d’autorisation de travail mène, de manière impitoyable, l’étranger à être en situation irrégulière, car l’empêche de déposer et de faire enregistrer à temps sa demande de renouvellement de titre de séjour ou son changement de statut.

Coté employeur, je vous laisse imaginer : fin de contrats, travail dissimulé, questions éthiques…tout y passe !

Sites et références:

ü  https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/comment-faire-embaucher-salarie-etranger
ü  https://administration-etrangers-en-france.interieur.gouv.fr/immiprousager/#/accueil
ü  https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/comment-faire-embaucher-salarie-etranger.
ü  Maître Nomenjanahary TSARANAZY et Mr Assane NGOM, spécialistes en Droit des Etrangers (mai 2022 . Alexia.fr)

****